Boule Joyeuse Laudunoise

Philosophie de la pétanque

  PHILOSOPHIE DE LA PETANQUE, cette histoire aurait aussi bien pu s'appeler

"HISTOIRE DU GRATTON"

     Il y a seulement un demi siècle, la pétanque n'était pratiquée qu'au sud de la Loire.
     Aujourd'hui, elle est connue un peu partout en France, et même au dela de nos frontières.
     De Provençal, notre jeu est devenu national, puis international, puisque dorénavant se disputent les championnats du monde.

     Bien sur, notre orgueil est flatté, car de plus, toutes les couches de notre société sont représentées.
     Du magasinier au P.D.G., du cantonnier au chef de gare, du garde champêtre au mauvais garçon, du conseiller municipal au chef d'état, du pion au recteur, de l'électeur à l'élu, de l'athée au vicaire, de l'ingambe à l'estropié, du consommateur au boucher, sans oublier les artistes et ceux qui croient l'être, les écrivains et les écrivassiers, les smicards et les biens nantis, les travailleurs et ceux qui ne foutent rien, les jeunes et ceux qui le sont moins, et jusqu'à nos gracieuses compagnes qui n'hésitent pas à se mesurer sur un terrain réservé où naguère les mâles souverains faisaient la loi.


     C'est un milieu cosmopolite hanté par des personnages quelquefois bigarrés, tantôt bruyants, gesticulants ou aphones, puis brusquement impassibles. Certains, hauts en couleurs ou diaphanes, selon les circonstances impétueux, agressifs ou placides, quelques uns pas malhonnêtes mais volontiers tricheurs.
     Tout un monde insolite ou chacun se côtoie dans une ambiance de kermesse,mais ou l'enjeu de la compétition donne une tension comparable à celle des grandes confrontations, car si la pétanque a ses règles, elle a surtout son propre folklore élevé au niveau d'une tradition.



     Mais le tableau serait incomplet si nous ne parlions pas des acteurs, car la pétanque a les siens. Et  quels acteurs...!!!
     Leur scène à eux, c'est la cour de l'école, la place publique, la terre battue de l'arrière salle du bistrot.

     Le décor est planté : c'est la "galerie". Envahissante, écrasante, mais indispensable. C'est un rideau qui ne se baisse ni se relève, mais qui ondoie, qui s'ouvre et se referme, qui avance et qui recule.

     Les accessoires ? Toujours les mêmes : boules, but et surtout, toujours présent bien qu'il soit le plus souvent invisible, l'inévitable "gratton".


     Toutes les conditions étant réunies, et en tenant compte de la présence insidieuse du "gratton", nous pouvons dresser, à travers le comportement des joueurs, un tableau des personnages selon la hiérarchie qu'ils occupent dans l'équipe.
     Car il existe une véritable hiérarchie des valeurs, qui confère à l'un ou à l'autre des joueurs une autorité sur le partenaire qui place ainsi au rang de subalterne celui qui n'a pas atteint le prestige de la notoriété.


     Il en est ainsi du TIREUR et du POINTEUR. Ce dernier, chacun le sait, est toujours le paria responsable de la défaite, qui ne participe que très humblement à la victoire, lorsque le tireur ..... a gagné !!!


     Il paraît donc établi que le tireur occupe la première place dans la hiérarchie de l'équipe. Mais qui est-il donc ce tireur ???

     C'est l'omnipotent, le gros bras de l'équipe, celui vers qui convergent tous les regards respectueux des badeaux suants sous le soleil d'été, et qui s'agglutinent à ses basques pour ne rien perdre de sa faconde car, en général, il raconte toujours quelque chose d'intéressant .....  le concernant !!!
     C'est le personnage infatué du rôle qu'il tient mais, conscient de l'influence qu'il exerce sur la foule, il ne prend place dans le cercle qu'après avoir ostensiblement marqué un temps d'arrêt et jeté un regard dénué de toute commisération à la boule à tirer.
     Les deux pieds serrés l'un contre l'autre, la mise en scène continue, car le tireur ne consentira à lâcher sa boule que si un silence de confessionnal et surtout .... admiratif l'entoure.
     Il n'admet pas le moindre bruit, un simple cillement le déroute, le froissement d'un papier lui est intolérable, il ne supporte pas qu'un tiers le dévisage surtout si le quidam est "à croupeton".
     Le tireur, c'est bien connu, a le complexe du regard en dessous !

     De gestes las, il désigne la foule indisciplinée que le pointeur, en bon domestique qui connaît son devoir, tente de faire écarter avec les impératifs mais inutiles : "Attention devant .... Ecartez siou-plaît ". Bien entendu, tout le monde s'accorde à lui donner raison, mais nul ne tente un mouvement de retrait car il s'agit d'un principe fort simple, ... c'est toujours la personne placée à vos côtés qui gêne.

     La situation est impressionnante, tendue, chacun se "fait petit" et se tient coi.


     Alors le pointeur abandonnera son rôle de chien de berger pour collaborer au tir, car lui aussi participe à l'action, et cette participation, psychologique, est déterminante. Parfaitement rodé dans son rôle de fidèle second, il prend d'abord un air de circonstance (résigné en général), et le pied dirigé vers la boule, il lance dans le silence à l'adresse de son chef de file, un convaincant et suppliant : ... "Celle là, grand ! Fais plaisir !".

     Le chef a compris, il mesure la responsabilité du geste qu'il va accomplir. Il cherche dans un emplacement aussi vaste qu'un béret basque, la position idéale. Il racle méticuleusement des pieds pour chasser les grattons qui risquent de compromettre l'assiette de son équilibre.
     Bien évidemment, chacun sait que cette opération, renouvelée lors de chaque tir, et ce malgré que le sol soit vierge de toute saillie, est d'une efficacité relative; mais le mysticisme dont elle est empreinte fait partie de la panoplie des gestes inscrits dans le bréviaire du parfait tireur.

     L'instant solennel approche. La galerie retient son souffle, le retraité son chien. Le père pose sa main sur celle de son bambin, l'obsédé sur les fesses de sa voisine, le fumeur cache le mégot derrière son dos. Comme à la prise d'armes, il est interdit de se moucher, de se gratter, d'éternuer, de crier, ... et j'en passe !

     Ô temps suspends ton vol ... Une éternité s'écoule avant que le geste rituel s'accomplisse.
     Et alors qu'à l'unisson tous les coeurs s'arrêtent de battre, le bras vengeur a frappé. C'est formidable, inoubliable, c'est un exploit !

     Modeste, le tireur n'est pas satisfait. Pensez donc, sans le maudit "gratton" il faisait un carreau.
     Approbatrice, la foule fait une haie respectueuse au héros malheureux qui, pointant un index vengeur vers le ciel, accuse le seigneur (gratifié en la circonstance d'épithètes que la bienséance interdit de rappeler) d'être responsable de son demi échec.
     Bon bougre, son partenaire, toujours magnanime, tente de le réconforter en lui glissant : "Allez ! Tu as bien tiré".

     Il s'agit là du scénario classique de la boule frappée. Mais où le paradoxe s'installe, c'est lorsque la boule visée est manquée ... de peu bien sûr, mais manquée tout de même.
     Les excentricités auxquelles se livrent alors les tireurs sont variables selon les sujets, mais toujours d'une grande cuvée ... clownesque :

     L'un bottera d'un grand coup de pied, le cul d'un personnage imaginaire, ou jettera sa casquette aux quatre vents, ou encore, lancera un juron propre à figer pour l'éternité le charretier du village.

     L'autre, cérémonial, interrogera la galerie médusée, qui reste muette devant tant de grandiloquence. Car, bien entendu, lorsque le tireur manque son tir, il a toujours droit a des excuses. Sa boule est perdue, c'est certain, mais cela n'a qu'une importance relative, ..... puisqu'il a bien tiré !!!!!!!

     Il s'agit d'une conclusion hâtive, dépourvue de sens logique, mais comme la logique n'a rien à faire dans une partie de pétanque.... Il faut donc en déduire que malgré que l'objectif ne soit pas atteint, le contrat est rempli par le tireur qui, avec tous les égards qui sont dus à son prestigieux palmarès, n'a pas totalement failli à sa réputation, puisque le sournois et invisible "gratton" est seul responsable.

     Seul le tireur peut invoquer la présence du "gratton", pas le pointeur !

     Pour ce dernier, il en est tout autrement. Bien que le "gratton" soit son ennemi n°1, il doit savoir l'éviter par tous les moyens, car jamais on ne lui pardonnera d'avoir fait un "nari" ("Nari" : ne figure pas au Petit Larousse. Employé lorsque la boule du pointeur s'égare à plus d'un mètre du but).
     En effet, le pointeur c'est le féal, le bouc émissaire, celui sur lequel s'abattent les haros, celui qui ne peut faillir, ni se tromper, qui ne peut se permettre de manquer une "donnée" quelque fois aussi grande qu'une tasse à café ("donnée" : ne figure pas non plus au Petit Larousse. Désigne l'endroit précis où le pointeur doit faire tomber sa boule pour qu'elle roule jusqu'au but).

     En un mot, le pointeur c'est celui pour qui l'erreur est impardonnable et l'excuse du "gratton" ininvoquable.


     Le point d'impact d'une boule lancée soit par le tireur, soit par le pointeur, est toujours choisi à l'avance. Il s'agit de la boule de l'adversaire pour le premier et d'un endroit déterminé au sol pour le second.
     Il s'agit donc dans l'un et l'autre cas d'un jeu d'adresse qui demande beaucoup plus  de technique chez le pointeur qui devra tenir compte de l'état du terrain.

     Le tireur, lui, est adroit ou ne l'est pas. Le véritable tireur, c'est celui qui "frappe au fer", c'est celui qui réussit son jet, et pour lui le "gratton" ne s'interpose jamais.

     Par contre, même pour le plus doué des pointeurs, le "gratton" est toujours omniprésent, en toute circonstances et sur tous les terrains.

     Seulement voilà, le tireur jouit d'un certain prestige. Depuis l'antiquité, le tir est le symbole des jeux et le peuple a toujours un certain respect teinté d'admiration pour l'athlète lanceur de javelot ou du poids.


     Il en est de même pour nos tireurs. Qu'ils soient beaux garçons ou mal foutus, pansus ou faméliques, genre échalas ou rabougris, ils sont tireurs avec tout ce que ce titre peut comporter de condescendance.
     Eux seuls assurent le spectacle, tantôt tristes, désopilants, de bonne tenue ou débraillés, discrets ou hilares, les tireurs jouissent de la ferveur populaire.

     Et pourtant, que deviendraient les tireurs sans les pointeurs ?
     Qui donne au tireur l'occasion d'exprimer ses talents ?
     Le pointeur bien sûr !!!

     En vertu de la relation de la cause à effet, lorsqu'un tireur a réussi un tir, c'est que, le précédant, un pointeur a bien joué la boule qui vient de servir de cible....


     Allez donc chercher à comprendre .... Car en fait, quelle différence peut-on faire entre deux boules perdues, l'une au tir, l'autre au point ?
     Aucune bien sûr, puisqu'elle sont hors du jeu toutes les deux. Et pourtant de la première on estimera qu'elle est bien tirée, et de l'autre on déduira qu'elle est mal jouée !!!

     Toute la philosophie de la pétanque réside dans ces deux constatations.
     Philosophie insaisissable pour le profane, mais pleine de richesse pour le connaisseur qui, lui, sait faire la différence ..... surtout s'il est tireur !!!


     Alors entre nous, l'histoire du "gratton", il s'agit d'un bon prétexte non ??? Alors, pourquoi l'employer unilatéralement ?

     S'il enraye quelquefois l'efficacité d'un tir, il pénalise toujours l'infortuné pointeur qui lui, n'est pas souvent de la fête, car le chemin de son calvaire sera toujours parsemé de "grattons".


     "Gratton" indésirable. Infime particule de silex ou débris de matériau moins noble, tu seras souvent à l'origine de tragédies cornéliennes, mais tu resteras toujours l'incomparable et inévitable arbitre de ce jeu, car, que deviendrait la pétanque si tu n'étais pas de la partie ???


........FIN


30/09/2010
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